Quand j’étais au lycée il y avait une fille étrange. Je crois que personne ne l’aimait parce qu’elle nous faisait tous un peu peur ou tout simplement qu’elle ne rentrait pas dans la norme. Elle ne se maquillait pas, n’avait pas une grande mèche blonde et ne portait pas des vêtements à la mode. Elle était simple et ne se démarquait pas. Elle travaillait très dur pour avoir des résultats très moyens. Elle se plongeait dans la lecture et mangeait seule à midi.
Moi j’avais mes amis, j’étais dans la bande de ceux que tout le monde aime et à qui tout réussi. Je n’étais pas dans la norme mais j’étais sociable et les gens me trouvaient drôle. Pendant trop longtemps j’ai regardé mes amis lui faire des coups bas. Les moqueries, les insultes sur les réseaux sociaux, les faux rencards où au final personne ne viens. Je les ai regardés et je n’ai rien dit. Quand j’y repense, je me dégoûte moi-même, car même si je n’ai pas participé, j’étais là et je n’ai rien fait. J’avais surement mes raisons, la peur d’être jugé à mon tour, la peur de me retrouver seule à midi, la peur que mon copain se moque de moi. Je crois que j’étais faible.
Ça m’a pris du temps, mais je me suis rappelé, je me suis souvenue les jours où moi aussi j’étais perdue, toute seule avec mon plateau à la cafétéria. Mais je ne savais toujours pas quoi faire. Le déclic m’est venu quand je suis tombée malade, cette fille était la seule à m’appeler tous les soirs pour me raconter la journée et elle venait m’amener les devoirs pour ne pas que je me sente trop perdue. Puis un jour je l’ai entendu pleuré.
J’ai commencé à la soutenir du mieux que j’ai pu, mais les gens sont méchants. Un jour elle a organisé une après midi piscine chez elle, ils ont dit qu’ils viendraient, elle était aux anges. Puis j’ai appris que c’était encore un de leurs coups montés et qu’elle allait attendre pour au final se rendre compte que personne n’allait arriver. Alors j’y suis allé, toute seule, je m’en foutais de ce qu’ils allaient penser.
J’ai alors découvert avec tristesse à quel point cette fille était blessée. Quand je suis arrivé chez elle tout le monde a sauté de joie, c'était la première fois qu'elle ramenait une amie à la maison, ils m’ont accueillit comme une reine, comme si je faisais partie de la famille depuis toujours. Jamais chez mes amis je n’avais ressentit ça. Mais je ne connaissais pas encore toute son histoire.
« J’ai encore quelqu’un à te présenter, j’espère que tu ne m’en voudras pas de t’imposer ça mais il avait hâte de rencontrer mes amis. »
Elle me conduisit dans une grande chambre et sur le lit il y avait un enfant. Il n’avait pas de cheveux et des tuyaux un peu partout. J’ai essayé de faire comme s'il n’était pas malade et je lui ai parlé comme à un autre de son âge. Quand on est sortit de la chambre, elle m’a expliqué.
« C’est Edouard, mon petit frère, il a treize ans et il a un cancer. »
C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte à quel point cette fille était plus forte que moi. Elle ne parlait jamais de ce qui n’allait pas et chaque jour elle vivait avec la maladie de son frère. Alors, je suis restés, plus longtemps que prévu, j’ai joué avec elle et sa petite sœur. J’ai rigolé avec Edouard et les parents. Et dire qu’elle avait peur que je lui en veuille de m’imposer sa souffrance.
Édouard s’est envolé peu de temps après ma visite. Cette fille forte et humble n’avait pas osé m’appeler, elle ne voulait pas me déranger. Mais quelqu’un d’autre m’avait mise au courant. Les gens avaient peu à peu pris connaissance de son histoire, mais je crois que rien n’avait changé. Le jour des funérailles ils ont tous dit qu’ils ne voulaient pas venir, qu’ils s’en fichaient ? Comment des gens peuvent-ils être sans cœur à ce point ? Ma meilleure amie et ma mère sont venues avec moi et je me suis tenue débout dans cette église. Je ne voulais pas pleurer, mais je n’ai pas pu m’en empêcher. Je l’ai serré aussi fort que j’ai pu dans mes bras pour lui donner tout mon amour. Je ne sais pas si ça a pu l’aider, mais je sais que, dans cette épreuve elle pouvait se sentir aimer par une amie, une vraie.