La musicienne reste confuse et immobile sur son petit tabouret. Son corps cadavérique flotte aisément dans la robe carmin dont elle se pare et son allure squelettique tremble sous les désagréments du temps. Son regard fatigué caresse les touches blanches et noirs qui surplombent l'instrument alors qu'elle dépose délicatement ses doigts cachectiques sur l'objet tant convoité. Elle en savoure la douceur et l'odeur âcre qui s’élève aisément. Un soupir jouissif échappe à son imprudence et effleure ses lèvres abîmées d'une chaleur évocatrice, pendant qu'elle referme ses paupières sur ses iris ambrés. Les souvenirs sifflent aux frontières de ses tympans et elle n'est plus qu'une ombre fantasmagorique qui s'avance. Débute alors l'extase d'un instrumentiste et de son outil. Les notes vacillent et oscillent, emportées par une ultime danse. Ses cheveux gris viennent se déposer au creux de son cou tandis que ses muscles se contractent fébrilement et un faible sourire se plante sur son visage vieillis par le temps. Sa peau craquelée s'étend de sa nuque jusqu'à la nervure de ses seins tandis que son corps décharné reprend une seconde vie au gré de la mélodie.
Une esquisse de vie se redessine alors.
La pluie vient choir sur les fenêtres de la vielle bâtisse, qui semble chanceler sous le poids du vent. Les gouttes s'écoulent fébrilement et le tempo s'échappe doucement. Elle rejoint alors de sa voix esquintée le rythme mélancolique tandis que les rides qui parsemaient son visage s’effacent lentement. Sa peau froissée s'étend, sa peau blafarde se recolore, ses courbes s'allongent. L'apaisement s'agite et renaît de ses cendres passé. Elle rajeunit. Son visage s'orne de mèches blondes qui viennent lécher la peau désormais lisse de sa poitrine tandis que les battements de son cœur s'excitent. Elle virevolte, une nouvelle fois. L’épuisement du temps s'envole et laisse place à la vigueur d'antan. Ses paupières papillonnent, son souffle s'évapore lascivement et ses doigts fins frôlent l'instrument à queue. Voilà une éternité que cette sensation libératrice n'a pas éclaté aux tréfonds de son estomac. La nostalgie se blottis dans ses pensées et la mémoire montre son doux visage. Elle rajeunis peu à peu. Elle revit. Ses lèvres maquillées de garance laissent s'évader un rire cristallin, celui d'autrefois. Elle effleure, cajole encore une fois.
Les minutes défilent et le temps trépasse.
Le froissement des partitions s'atténue peu à peu et les dernières notes défilent avant qu'elle ne dépose de son doigté mélodieux; la dernière note. Et le vibrement de ses cordes vocales s’estompe lentement. Alors elle vieillis, son corps retrouve cette allure spectrale, son souffle s'affaiblis et elle ouvre les yeux. La lueur mélancolique qui règne dans son regard s’éteint peu à peu, jusqu’à ce qu'il n'y est plus rien. Son corps se refroidit et son cœur ne bat plus. Dehors, la pluie s'est arrêté. La musicienne disparaît et ne laisse plus qu'un corps sans vie.