En philosophie, on cherche à comprendre ce qu’est le bonheur. Certains disent qu’on ne peut l’atteindre car pour y parvenir, il faut arriver à combler ce manque infini qu’est notre désir, sans cesse renouveler. D’autre disent que la recherche du bonheur lui même serait un aperçu de ce que nous tentons désespérément d’acquérir, et que sans désir, il n’y a pas de joie.
Manque ou pas, moi, j’ai trouvé mon bonheur.

Le bonheur, c’est le vendredi soir, veille de notre première représentation théâtrale, quand on est tous réunis dans notre salle fétiche, costumés, maquillés, coiffés, un sourire immense à nous faire mal aux joues. On parle, on rit, on court, on stress. On a ce début de boule au ventre, cet avant-goût de trac, une envie irrépressible d’avancer le temps tout en le figeant.
On danse, on se bouscule, on file changer de costume en se répétant mentalement nos répliques. On tremble déjà, on se mort la lèvre inférieur et on se dit que demain on frôlera les étoiles du bout des doigts. On se dit que demain tout les malheurs du monde peuvent bien se dérouler qu’on aura quand même ce sourire sur les lèvres et ces frissonnements de plaisir. Car demain, on s’envole pour le septième ciel.

Le bonheur, c’est quand on arrive dans les coulisses une heure avant le spectacle, qu’on découvre l’affolement général, les cris mêlés aux rires, le bruits des talons qui martèlent le sol, les filles qui se poussent devant le miroir, l’odeur de la laque et du gâteau au chocolat. C’est quand on découvre ce joyeux bordel et qu’on s’y lance à coeur perdu, les yeux fermés et l’air serein. Car ça y est, on décolle pour l’extase.

Le bonheur, c’est quand on monte sur scène à dix minutes du spectacle avec les personnes les plus merveilleuses au monde, qu’on forme un cercle, un cercle impossible à briser, un cercle infini, un cercle qui n’en finira pas de tourner, et qu’on chante. On chante jusqu’à ne plus avoir de voix, ne plus avoir de souffle, et on rit. On rit aux larmes et on est juste heureux. On regarde à travers le rideau la salle se remplir, et plus le nombre de spectateurs grandit, plus notre boule au ventre s’épaissit. Et on adore ça.

Le bonheur c’est quand ça y est, le spectacle commence et qu’on attend nerveusement derrière l’épais rideau pourpre notre entrée. On tripote notre costume, on sourit à nos camarades, on souffle un grand coup.
Et ça y est, on se lance. On dit notre première phrase, on rejette ses cheveux en arrière, on laisse notre personnage nous dévorer tout entier. On est plus nous. On est Gaby, la comptesse, Mrs Teavee ou bien la concierge. On ne pense plus. On ne respire plus. On joue. Non, on vit. Ce n’est pas de notre bouche que sortent les mots, ce n’est pas notre visage que les spectateurs regardent, ce n’est pas notre corps qui se meut ainsi. C’est notre personnage. Et c’est nous. Et on comprend enfin ce qu’est le bonheur, l’ivresse, l’euphorie. On nage à travers la galaxie, sautant d’étoiles en étoiles en sentant notre coeur exploser dans notre poitrine. Mais on ne cherche pas à recoller les morceaux. C’est tellement bon de le sentir s’envoler pour finir par disparaître à travers la poussière d’étoile.

Le bonheur c’est quand notre pièce se termine et que la musique finale retentit. Alors tout notre corps explose, et pourtant, notre sourire reste. On effectue notre danse avant de venir se serrer les uns contres les autres en se tenant la main. Les applaudissements retentissent et on voudrait attraper une horloge, maintenir les aiguilles et arrêter le temps. On crit, on rigole. Je pleure. De nos voix émus, on réclame notre metteurs en scène qui court à travers la salle pour monter avec nous.
Et alors là, au milieu de tous ces gens que j’aime, galvanisée par l'adrénaline et les applaudissements de la foule, je l’entend nous dire, comme chaque année “Profitez, c’est que du bonheur”.

Tous les philosophes du monde peuvent bien se pencher sur la question et donner autant de réponse qu’ils souhaitent, mais ma vérité à moi est celle là.