Le concours avait pour thème : "décrire l'animal qui sommeille en moi".
- Mes intentions à travers ce texte, à découvrir après la lecture du récit:
J'ai fait beaucoup de recherches sur la symbolique des animaux avant de m'y prendre. Car je ne sais pas lequel me correspond, et ça reste difficile de faire un choix. J'ai donc cherché et l'idée du lynx m'a beaucoup plu. Et ce n'est pas prétentieux de ma part de l'avoir choisi, c'est imagé. Car nous sommes toutes considérées comme tel je pense : on écrit pour parler de ce que l'on sait, à la manière d'un secret que l'on dévoilerait. Et avouons que c'est plus poétique de parler de ça plutôt que d'un ver de terre. (amoureux d'une étoile ? Non non !)
« La beauté est quelque chose d’animal, le beau est quelque chose de céleste. » Joubert
ANIMALIA
La salle des Miracles regorgeait de somptuosités. L’opulence et le faste des décorations offraient un nouveau souffle à la vieille bâtisse. Tandis que les claustras nord et sud affichaient d’éblouissantes toisons d’or, le versant abrupt du fond se distinguait par son austérité et sa frugalité. Seul un siège de cérémonie s’imposait au centre : irisant par les joyaux qui l’ornaient, captivant par les reliefs baroques dont il était nanti et impressionnant par l’aspect qualitatif de sa polissure. Au sol, de nombreux tapis persans s’étendaient paresseusement, cachant l’ardoise sombre, opaque et cafardeuse.
Le banquet avait tout juste débuté que déjà, le vestibule vomissait quantité de citadins. Je ne reconnaissais ni le boucher barbare et grossier de la supérette d’à côté, ni la bibliothécaire aux allures habituellement puritaines. Tous étaient parés de leurs plus beaux costumes. Les masques ne cessaient de se fondre les uns dans les autres, faisant apparaître ça et là plusieurs hybrides. La fête de l’Animal connaissait plus de succès qu’elle n’en avait jamais connu auparavant. Chaque couple se voulait prêt à festoyer. Les plumes bariolées du Brésil mêlées aux fourrures épaisses provenant du Tibet offraient un spectacle splendide, animé par le brouhaha des conversations. Tout le monde animal se retrouvait confiné, comme un loup jeté dans une bergerie.
Quelle ironie de voir s’amuser le lion et la gazelle, de voir s’embrasser le cygne et le crocodile. Une véritable raillerie du destin que d’observer le renard et la poule, l’ours et le poisson, le tigre et le singe. Les antagonistes les plus flagrants semblaient se lier irrémédiablement. Les neutrons et les protons fusionnaient, créant un déséquilibre tel qu’on n’en voyait jamais. Une harmonie semblable entre chaque espèce du règne animal relevait d’une dystopie ; non d’une utopie. Le compte à rebours était en marche. Tantôt accompagnée par le chat, tantôt par le lapin, j’étais actrice et spectatrice d’une pièce désastreuse. Un dénouement funeste attendait chaque animal qui, homme parmi les hommes, siégeait à ce banquet. Une chute qui, irrévocablement, transperçait mon être tout entier ; frottant mon cœur contre l’asphalte. Mais qu’étais-je au sein de ce brouillon animal ?
Lucide parmi les fous, clairvoyante parmi les aveugles, j’étais seule, esseulée. Confrontée au savoir et au devenir. Crabes et taureaux eux-mêmes ne percevaient pas tout ce que déjà je devinai. Tandis que Dionysos abreuvait les convives de son doux nectar, l’œuvre que le cosmos avait mis en place se déclenchait. Le fond des Enfers vrombit sous la voûte, et la pièce se trouva dépourvue de toute humanité. L’animosité prit place.
La transformation fut subite, inédite et inévitable. Les prédateurs s’en remirent à leur férocité : les masques fusionnèrent pour créer à nouveau ce que l’Univers avait édifié. Regards creux. Souffles courts. Chaque homme interprétait aujourd’hui le rôle qu’il avait choisi de jouer. Du haut du trône sur lequel j’étais parvenue à me hisser, il n’y avait pas vue plus perçante que la mienne. Je ne m’identifiais ni à la biche chétive, ni au chien galeux. Certes, je n’avais pas la prestance de l’aigle, ni même la fierté du cerf. C’était tout autre.
J’étais cette bête à la démarche souple et chaloupée. J’étais cet animal à la tête munie d’oreilles triangulaires, surmontées de pinceaux noirs. J’étais cet être détenant la vue de Lyncée. J’étais ce que les dieux avaient choisi pour tombeau. Je détenais les secrets oubliés. Je les préservais. Ce que le monde offrait, je le conservais. Je tenais, au creux de mes pupilles cristallines, le divin et le céleste. Les mystères enfouis, les confidences faîtes dans la plus grande intimité ; à l’aube comme au couché. Condamnée à savoir sans apprendre, à comprendre sans exclure, c’était à travers les regards furtifs et les sourires vaporeux que je dévoilais passé, présent, futur. Comme une entité, j’étais une énigme. Plus puissante encore que le Sphinx qui condamna mille hommes, j’étais un rébus que le Souverain avait choisi de créer. J’étais cette femme qui par les mots révèle le monde. J’étais le lynx, faible et damné.
J'ai conscience que c'est un peu long et je remercie celles qui auront le courage de tout lire !